Enfantement sauvage, accueil en douceur

Les enfants ont participé aux soins du post partum, juste après la naissance de Suzanne

En France, seulement 0,2% des naissances ont lieu à domicile chaque année (chiffres APAAD 2018). Une situation extrêmement marginale donc alors que 35% des femmes déclarent souhaiter accoucher à domicile si elles le pouvaient (sondage IFOP 2021). Un décalage immense donc entre la demande des femmes et le parcours de soin proposé.

L’intégralité des rapports statistiques de l’APAAD (Association Professionnelle de l’Accouchement Accompagné à Domicile) est à découvrir ici : https://apaad.fr/statistiques

Nous pouvons tous agir pour que l’offre de soins périnatale soit élargie, pour le bien-être et la santé de toutes les femmes. Nous pouvons tous agir pour faire progresser les valeurs de la naissance respectée, quel que soit le lieu. Cela nous concerne tous.

J’y participe ici à ma petite échelle en visibilisant cet événement. En partageant mon histoire pour qu’elle devienne banale aux yeux de tous. Pour que bientôt, en France, nous trouvions tous cela très ordinaire d’accueillir son enfant chez soi, comme un événement de la vie de la famille. Extraordinaire et très ordinaire à la fois.


Vers ses ressources les plus profondes : une naissance intense.

Naissance de Suzanne, le 27 février 2024 dans notre petit village.

Prêt ? Feu, partez !

Ce troisième enfant est prévu pour le 4 mars. La grossesse se passe bien, tous les feux sont au vert pour notre Accouchement Accompagné à Domicile. Mes deux premiers : parfaitement dans la moyenne : nés à 40 sa, 3,5kg. Je ne vois pas de raison pour que ce soit différent cette fois là. Je me fixe donc dans ma tête durant la grossesse une date d’accouchement au 27 février. 

Ainsi, le 26 au soir, nous faisons un gros câlin en famille, en conscience que ce sera (sûrement) notre dernière soirée à 4. J’envoie un message mental à mon bébé : « Je suis prête ». 

Et ça n’a pas loupé ! À minuit, je perds un peu de sang. Je n’aime pas trop ça moi perdre du sang… Un petit texto à Claire, ma sage-femme, pour me rassurer. Par chance elle me répond. Je ne veux pas la déranger pour rien à une heure pareille. Elle me répond que tout est normal en fin de grossesse, ça travaille. J’essaie de me reposer mais de légères contractions régulières viennent troubler mon repos. Elles augmentent petit à petit en intensité. J’arrive à m’endormir entre chaque mais du coup c’est la surprise à chaque fois au réveil ! Déjà dur de gérer la douleur allongée. 

Il est environ 1h30 quand je décide de me lever. Je ne sais pas encore si c’est vraiment ça mais je ne peux plus rester allongée. Un nouveau petit message à Claire pour lui dire que les contractions sont de plus en plus présentes.

Sur le ballon au bord de la table, debout appuyée sur l’étagère, les cent pas dans le couloir, je multiplie les endroits et les positions à la recherche de quelque chose d’un peu antalgique mais rien n’y fait, je ne suis « confortable » nulle part. Pendant ce temps Renaud sort le matelas prévu pour le salon pour le jour de la naissance, puis la piscine… Bon cette fois, il va falloir se faire à l’idée, on dirait bien que c’est parti, c’est bien le travail qui commence.

Je m’installe plein de coussins sur le canapé pour pouvoir m’enfouir la tête la première mais rien n’y fait, l’intensité me rattrape, il faut que je bouge. Il faut que je me concentre, que j’arrive à me mettre dans un état second. Je m’installe donc devant mon petit autel de naissance et je prends un temps pour moi. Je relis tous mes mantras, je connecte avec mes pierres, j’allume mes bougies. Un moment de recentrement, de respiration profonde, de pleine conscience pendant lequel les contractions qui se présentent passent sans mal grâce à une respiration profonde, sans ressentir le besoin de vocaliser comme auparavant. Renaud en profite pour se reposer.

Seulement très vite je suis rattrapée par le réel, un bruit ou autre et de nouveau l'intensité est trop forte, je crie plus fort. Je vais me plonger dans mes coussins, je pousse sur mes jambes à chaque contraction, la petite bouillotte sur mon ventre est un maigre soulagement comparé à l’intensité. Le chéri est là, à chaque fois, et c’est plus facile, à chaque fois. Caresses, pressions sur le sacrum, bercement du bassin, font vraiment réduire mon besoin de crier et me permettent de passer la vague avec plus de sérénité.

Seulement très vite l’intensité revient plus forte. Je n’ai pas le temps de m’habituer, de me mettre dans cet état de conscience modifié qui me permettrait de surfer sur chaque vague. L’intensité augmente à. Chaque. Fois. Jusqu’à présent je n’étais toujours pas convaincue que c’était vraiment le travail. Mais là je commence à hurler, à perdre un peu pied face à l’étendue des sensations. Je m’attends à ce que ça m’envahisse mais ça reste vraiment dans le bas du ventre.

Oubliées toutes les techniques de visualisation, de sons, de respiration, la seule chose que j’arrive à faire c’est visualiser mon col et la tête de bébé qui appuie dessus. Et cette phrase qui tourne en boucle dans ma tête : « Vas-y dirige la sensation vers le bas, ouvre toi, plus tu t’ouvres plus ce sera rapide, moins t’auras mal longtemps ». 

Vite, du soutien !

Vu les cris, Renaud me dit doucement, je vais envoyer un message à Claire d’accord ? Une autre arrive, ça s’intensifie vraiment beaucoup là. Je lui dis non appelle-la ! Il lui dit à peu près ce qui se passe et puis une autre arrive, elle commence à m’entendre crier et sans hésitation elle lui dit qu’elle arrive. Il est 4h40. Bon ben là c’est vraiment le moment alors ? Peut-être que bébé sera là avant 8h qui sait. Cette pensée me rassure car avec une intensité pareille, je ne tiendrai pas jusqu’au soir ! 

Elle a presque une heure de route. Mon dieu que cette heure est longue. Renaud fait couler l’eau dans la piscine. Il me propose ensuite d’y aller mais ma réponse : Non ! J’attends Claire ! Et j’attends Claire, mon dieu que cette heure est longue. Impossible de me concentrer sur le « une à la fois » toussa toussa. J’attends Claire. 

Vers 5h30 Jeanne se lève pour aller aux toilettes. Elle nous voit tout installés dans le salon pour la naissance mais elle ne semble par perturbée, elle retourne se recoucher tranquillement. 

Peu après Claire arrive. Enfin ! Je suis rassurée ! J’ai perdu du sang, de plus en plus et de plus en plus rouge. J’ai besoin qu’elle me dise que tout va bien, j’ai besoin qu’elle écoute le coeur du bébé, j’ai besoin qu’elle me tienne la main. Et elle fait tout cela, sans que je lui demande quoi que ce soit, elle anticipe chacun de mes besoins. Sa présence me détend. Je sais que je peux laisser aller à présent. Je suis entre de bonnes mains.

Sauf que laisser aller, c’est plus facile à dire qu’à faire quand l’intensité augmente crescendo, à chaque contraction ! Pas de pallier, pas le temps de s’habituer, la suivante est toujours plus forte que la précédente. Je doute, je hurle « Je suis pas capable ! Je veux pas ! Je veux que ça s’arrête ! Mais quelle idée ! ».  Et je hurle à chaque contraction, je subis. Pas de jolis sons graves qui aident.

Claire me propose d’aller dans la piscine. Apparemment vu comme je hurle, on peut dire que je suis bien en travail actif ! Je rentre dans l’eau et Aaaaah quel soulagement ! Mais de courte durée. C’est reparti, vite, très fort, très peu de pause entre chaque, je suis écartelée. Je ne sais pas comment me mettre, et je hurle, de plus en plus fort à chaque contraction. Je pense aux enfants « Je vais leur faire peur ! » « Mais non t’inquiète ils dorment. » … LOL

Mes deux compagnons me soutiennent de leurs mains depuis le bord de la piscine. Claire m’aide, elle vocalise avec moi, m’invite à faire ces sons graves qui sont tellement aidant mais que je n’arrive pas à atteindre seule face à l’ampleur de la sensation. Et elle respire avec moi « Profite de la pause » Mais oui putain ! Profite de la pause Hermine !!! Mais pourquoi t’arrive pas à te déposer dans ce travail là, à partir loin dans les étoiles, plonger dans la douleur, l’accueillir pleinement et la laisser te porter ?

Non décidément ça continue fort mais je n’en peux plus. « Non je suis pas capable !  Je veux pas ! Je dis stop ! JE VEUX UNE PAUSE !!! » Et il en fut ainsi. Je m’immerge entièrement dans l’eau, allongée sur le côté en chien de fusil. Je dis stop au rythme incessant des contractions. Cet instant de pause me fait le plus grand bien et je suis rassurée de savoir que je peux avoir une forme de « contrôle » sur la situation qui m’échappe complètement. Je reprends du courage. Mais de nouveau, un bruit, une pensée qui me ramène au réel et PAF ! Prends-toi la prochaine dans la tronche ! Toujours plus puissante !

Le sommet, la rencontre

Bon, il faut que j’aille aux toilettes, il le faut. Toute une logistique ! Et pourtant, c’est un impératif dans ma tête alors que l’envie n’est pas si présente. Une fois sur les toilettes, tout de suite un grand splash ! « J’ai rompu ! ». C’était donc ça l’envie pressante ? 

Pétard ça veut dire que ça va être encore plus intense là ! Je reviens dans l’eau, je veux plus d’eau je voudrais être entièrement immergée. C’est fort c’est fort c’est fort mais ça ne descend pas ! Je commence à m’inquiéter, je demande à Claire si elle peut vérifier la présentation. Je crois qu’elle va chercher ses gants puis me dit « Après la prochaine je t’examine ok ? ». Sauf que la suivante… comment dire… La suivante me fragmente. La suivante me fait hurler à la mort. J’ai beau penser au sommeil des enfants, je ne peux pas faire autrement. C’est beaucoup trop intense là. Claire repart poser ses gants je crois et me fait comprendre que c’est en route, que ce n’est plus la peine de vérifier, que ça va sortir. Mais toujours cette pensée et cette plainte « Noooon je suis pas capable ! Non je veux pas ! ».

Jusqu’au moment où je sens que ça va commencer à pousser mais non je ne suis pas prête, j’ai besoin de me concentrer, de me recentrer, j’ai besoin de prendre tout mon courage, de puiser dans mes ressources les plus profondes pour passer à travers ce qui s’en vient. Là je ne les ai pas. Pas tout de suite.

Alors, comme on retient une envie de faire pipi, je serre le périnée. Je ravale tout. Je dis stop. Et ça se stop. J’en reviens pas. Une pause. Enfin. Je me pose sur le boudin de la piscine, la main de Renaud dans la mienne. Dans le silence de la nuit j’en appelle à mon courage, à mes ressources profondes. Oui il va falloir que ça passe par là, concentre toi, laisse aller, oui ça va faire mal, oui tu vas être écartelée mais tu vas rencontrer ton bébé. Dans la pénombre de la nuit, seule la lueur de la bougie du petit autel de naissance m’accompagne. Alors ce chant monte en moi « Hé Yama Ho ». Je fredonne, puis je chante ce doux air qui me reconnecte et me recentre.

Et dès la dernière note Ahhhhhh ça pousse ça descend ! Je hurle à la mort ! Je suis à genoux dans l’eau appuyée contre la piscine d’une main et de l’autre main j’ose explorer mon périnée, je sens la tête c’est énorme, ça brûle ça ne s’arrête pas de pousser ! Ça y est la tête est sortie mais ça ne s’arrête pas ! Ça pousse encore ! Ahhhhhh il arrive !!! Ca y est, mon bébé est sorti. Entièrement en dehors de moi, je le regarde à travers l’eau trouble de la piscine. Une fraction de seconde pour réaliser que mon bébé est là.

Je me décide enfin à l’attraper et à le sortir de l’eau. Je m’assois contre la paroi, mon beau bébé tout mou contre moi, tout plein de vernix. Il commence à tousser tout doucement, je lui laisse le temps. Une première fois, une seconde fois, petit à petit il prend sa respiration. Je sais que, toujours accroché à son cordon, il est oxygéné suffisamment. Alors je ne fais rien, je lui laisse une arrivée en douceur, à son rythme, en silence, en douceur.

Le papa sourit jusqu’aux oreilles, m’embrasse, me félicite, se délecte de la beauté de cet enfant.

Et enfin des petits cris retentissent au petit matin. 6h53. Tout va bien, bébé rosi bien, Claire se fait discrète, nous laisse toute la place pour la rencontre. Au bout de ce qui me semble être plusieurs minutes, nous nous demandons qui est cet enfant. Et je regarde, tant bien que mal, car il a le cordon entre les jambes, c’est une petite fille ! Je regarde à deux fois, je suis surprise ! Ces dernières semaines j’étais vraiment convaincue que ce serait un garçon ! 

Un accueil en douceur

Quelques petits cris encore et nous entendons la porte de la chambre des enfants s’ouvrir tout doucement. Ils sortent timidement, le regard questionnant s’ils peuvent s’approcher rencontrer le bébé. Ils sont trop chou. Tout impressionnés, du haut de leurs 6 et 9 ans, ils s’approchent pour découvrir leur petite sœur, au petit matin, à peine quelques minutes après sa naissance.

Je suis encore dans la piscine, au milieu du salon, un matin de vacances scolaires, avec un bébé tout neuf dans les bras. Normal. Ils n’osent pas s’approcher trop et toucher le bébé mais regardent avec attention, font un câlin à leur papa. Ils retournent ensuite dans leur chambre jouer et s’habiller.

Claire me propose alors de sortir de l’eau, je me remets à genoux et je sens que quelque chose est sorti un peu mais que c’est tout petit. J’espère que ce n’est pas le placenta qui n’est pas complet ! Elle me propose qu’on fasse la délivrance dans l’eau. Super ! C’est vraiment ce que je souhaitais pour cette naissance ! Une délivrance dans l’eau juste après la naissance. Et effectivement à genoux, mon bébé dans une main, appuyée contre la piscine de l’autre, je m’approche, elle appuie légèrement et en poussant un peu ça y est, le placenta sort en douceur. Merveilleuse délivrance. Elle n’est vraiment pas inquiète quant à sa complétude. 

Je sors alors de l’eau pour m’installer sur le matelas par terre. Les enfants reviennent rencontrer le bébé, ils participent aux soins, Jeanne prend plein de photos avec mon appareil. Ils sont curieux c’est mignon. C’est tellement touchant de les voir être témoins de l’arrivée de leur petite sœur, dans le cocon de leur maison.

Un beau bébé de 3,3 kg arrivé en douceur au milieu du salon

Claire nous laisse nous reposer, faire la connaissance de notre bébé, elle remplit les papiers. Renaud lui dit alors enfin, « Au fait, c’est Suzanne ». Suzanne, c’est réel à présent. C’est une petite fille, et elle s’appellera Suzanne. 

Première tétée pour bébé avec l’aide de Claire. Aïe j’avais oublié comme c’est douloureux au début ! Puis soins de maman, une petite éraillure seulement malgré l’arrivée en boulet de canon de cette petite puce ! 

Vers 10h Claire vient faire les soins de bébé : par terre, sur le matelas, au milieu du salon, en toute simplicité, toujours accrochée à son placenta. Elle la pèse dans la balance en tissu : 3,320 kg. Moins que mes autres bébés. Tout le reste va parfaitement bien.

Elle nous montre le placenta en détail. Jeanne pousse des cris de dégoût. Moi je suis toujours aussi fascinée. Les membranes, sa première maison, son arbre de vie… Elle va nous faire des empreintes pour que l’on garde un beau souvenir.

Il est temps de la détacher de son jumeau, source de vie pendant toute la grossesse. Ce sont les enfants qui souhaitent brûler le cordon. Quel bonheur de les voir si impliqués et enthousiastes. La petite sur moi, ils se mettent tout proches, chacun une bougie à la main et commencent à brûler le cordon. Bientôt elle sera pleinement arrivée parmi nous. Cela prend du temps, ça sent le chaud, ça fait de la fumée mais ce petit moment nous offre le temps à tous, à chacun en son fort intérieur de prendre conscience que ça y est. La naissance a eu lieu. Suzanne est parmi nous. Cela m’offre le temps de prendre conscience que notre famille est belle, maintenant au complet.

Brûler le cordon plutôt que couper, pour accueillir bébé avec chaleur

On installe bébé en peau à peau avec papa. Il est temps pour moi d’aller prendre la douche salvatrice. Je me sens faible, j’ai froid, ça coule de partout. Heureusement que j’ai l’aide de Claire. Elle m’a préparé mon petit endroit dans mon lit, des draps propres, et le rebozo pour un resserrement du bassin avant qu’elle parte. Ah bonheur ! Me voilà seule dans mon corps. Je peux voir et sentir mon bébé. 

Les suites de couches sont douces malgré les douleurs des tranchées, les crevasses déjà en train de se former à la tétée, la fatigue, les saignements… C’est doux car je suis chez moi, entourée des miens, au chaud dans mon lit, soutenue par la présence de mon mari, l’enthousiasme mes enfants, la bienveillance de ma sage-femme.

Ce qu’il en restera

Je retiens de cette naissance un moment de très forte intensité, mon incapacité à lâcher prise. Je suis donc allée chercher ailleurs ce dont j’avais besoin pour passer à travers cette expérience : du courage face à la douleur, se laisser ouvrir malgré la perte totale de contrôle, pour que ce soit le plus rapide possible.

Je retiens la douceur de partager ces instants avec mes grands enfants et l’espoir dans mon coeur d’avoir planté chez eux les graines du respect de la naissance, de la conscience que cela peut-être un moment fort certes, mais naturellement intégré à la vie de famille.


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