De l’informatique à la permaculture

Thomas, dans sa serre avec ses semis de salades.

Mettre en lumière les acteurs du monde de demain. Voilà une mission qui me tient à coeur. Être la photographe de ces travailleurs anonymes qui oeuvrent pour construire un monde meilleur, plus résilient, plus respectueux de la nature et de l’humain.

Dans cette optique, Thomas a accepté de m’ouvrir les portes de sa micro-ferme : Les Champs Verts. Nouvellement installé en maraîchage en permaculture sur la commune du Poizat-Lalleyriat, il partage avec nous son quotidien de paysan, et les raisons qui l’ont poussées à se reconvertir.

Plus d’information sur son activité :

https://www.leschampsverts.fr

Reportage par Hermine Delahaye.


Vers la recherche de sens

C’est dans la fraîcheur de cette matinée d’été que Thomas m’accueille sur la ferme. Déjà en activité depuis plusieurs heures, il prend le temps de me faire visiter toutes les spécificités de ce lieu à flan de montagne. Thomas et sa compagne Mylène sont venus s’installer dans ce village l’année passée. Ce grand chalet et son immense terrain avec vue ont été un coup de coeur.

Thomas a 31 ans. Son parcours plutôt atypique l’a poussé à devenir tour à tour ouvrier, employé etc. Il a fait plusieurs métiers, dont certains avec de nombreux déplacements. C’est un vrai crack de l’informatique, il a fait de la Recherche et Développement en électronique. Il s’intéresse depuis très jeune à la High Tech et à la science.

Seulement après plusieurs déceptions professionnelles, la quête de sens est devenue centrale. Comment gagner en qualité de vie, en liberté au quotidien, tout en visant l’autonomie alimentaire… Petit à petit c’est devenu clair. Sa compagne ayant une situation stable, Thomas a pu lancer sa ferme sans trop d’inquiétude.

Te rappelles-tu quels événements, quelles décisions ou rencontres t’ont amené à faire ce métier ?

“Je crois que la révélation, je l’ai eu tout petit. Mon grand-père avait un grand potager. Mes parents me laissaient un petit carré rien que pour moi. J’avais tout loisir de faire des essais, erreurs. J’observais beaucoup. J’étais fasciné par cette graine qui sort de terre et qui devient une petite plante. C’était magique.

Avant de venir ici, nous habitions en ville avec Mylène, à Lyon. C’était très difficile pour moi cette vie urbaine. Tout ce stress ça m’a causé des problèmes de santé. Si je fais quelque chose, je donne de ma personne, je suis entier. Mais en ville, on est toujours obligé de payer pour se divertir ou pour faire quoi que ce soit. Je rêvais d’une vie simple, où tu peux choisir comment tu te nourris, ce que tu fais de ton temps libre. Je cherchais à avoir un mode de vie plus ralenti, simplifié et en phase avec une descente énergétique.”

La grande serre des Champs Verts

Après avoir terrassé son terrain en pente, Thomas installe plusieurs planches de culture, une petite serre pour les semis, et une grande serre pour les plantations plus sensibles au froid. Il peut cultiver sur un terrain en pente car son approche de micro-ferme en permaculture lui offre des techniques adaptées à n’importe quel terrain et à échelle humaine. Par exemple, il ne retourne pas la terre mais au contraire il vient faire des apports pour la nourrir (fumier, paillage…). Ainsi, ses plantes se développent dans une terre riche, pleine de vie ; c’est le gage de légumes en santé, pleins de vitalité !

Thomas apprécie de travailler sur son propre terrain. Ainsi, il peut organiser sa semaine comme il le souhaite et ne perd ni son temps ni son énergie dans les transports. Il passe une grande partie de ses journées à l’extérieur, au contact du vivant, avec ses plants, ses animaux… Il a réussi à donner du sens à son activité : nourrir sa famille, et bientôt plus.

“ J’ai conscience qu’avec ce que je fais, à ma toute petite échelle, j’ai de l’impact. Alors j’essaie de m’améliorer chaque jour. C’est ce qui me plait aussi là-dedans : avoir une activité qui nous pousse à se mettre en mouvement, à chercher à s’améliorer constamment. Quand on commence à regarder le monde autour, on se dit que c’est bien peu, que ce n’est qu’une goutte d’eau. Mais après tout, qu’est-ce qu’un océan, si ce n’est une multitude de gouttes d’eau ?

Les gens ne se rendent pas compte qu’à continuer sur cette lancée avec nos modes de vie ultra consommateurs en ressources, c’est nous qui avons le plus à perde. Il faut qu’on arrive à retrouver une posture d’humilité, prendre conscience qu’on ne peut pas tout contrôler et remettre l’homme à la place qui lui appartient, c’est à dire faisant partie d’un tout.”

Thomas aimerait que dans cette nouvelle société de demain, chacun puisse trouver sa place, en fonction de ce qu’il est, de ce qu’il peut apporter et que tout le monde respecte ça.

Un quotidien proche de la nature

Dès son arrivée, et avec l’aide de ses proches, Thomas a pu organiser son espace. En priorité : terrasser et clôturer le terrain. Terrasser pour obtenir des planches de culture à plat : pour faciliter le travail mais aussi pour retenir l’eau. Clôturer pour délimiter les espaces dans une optique de réserver la prairie d’à côté au travail des moutons. Mais chaque chose en son temps.

Ensuite les toutes premières plantations ont été les arbres. Des fruitiers notamment pour l’aspect nourricier mais aussi d’autres essences pour, par exemple, leur propriété brise-vent. Puisqu’il travaille pour lui-même, ce paysan peut tester de nouvelles variétés, des façons de faire différentes pour pouvoir s’adapter à l’altitude et au climat.

Mais tout n’est pas liberté, nature et créativité dans la vie de ce jeune entrepreneur. Il partage ses difficultés face à l’administratif et la lourdeur de la création d’entreprise. Il y a également la nécessité d’exécuter des tâches très répétitives et le port de charges lourdes. Certains jours l’envie n’est pas là. Alors bien sûr il ne connaît pas les lundis ; mais il n’a pas de dimanches non plus.

“Malgré tout je suis fier de ce que je fais, fier de travailler et de faire de mes propres mains. Je me souviendrai toujours de ma mère qui m’a dit un jour “Et beh mon fils !” en prenant conscience de la charge de travail que cela représentait. Même si je ne pense pas qu’elle ait pleinement conscience des enjeux planétaire que nous traversons, j’ai senti la fierté dans ses yeux et ça c’est précieux.”

Thomas sur sa micro-ferme en permaculture

En saison, ce maraîcher en installation cale son emploi du temps sur le rythme du soleil. La routine du matin démarre à 6h avec le relevé des températures, du pluviomètre, et l’ouverture aux animaux (poules et canards). Puis il prend un temps pour observer, faire un tour des cultures, guetter le moindre début de maladie et ouvrir les serres pour faire circuler l’air. Un petit déjeuner bien mérité l’attend ensuite à 8h puis la matinée passe au travail sur la ferme. L’après-midi est plus souvent consacré aux travaux de la maison ou à de l’administratif à l’intérieur s’il fait trop chaud. En été, les récoltes peuvent représenter jusqu’à 40 ou 50h de travail par semaine. Au coucher du soleil, il fait souvent de nouveau un petit tour sur la ferme.

As-tu le sentiment de contribuer au “monde de demain” ? De quelle manière ?

“Inévitablement oui. Chaque geste y contribue. Je produis ma propre nourriture ; rien que pour ça, je suis un activiste ! Dans l’idée, je cherche à fédérer les habitants du village, partager mes méthodes, créer de l’entraide entre les personnes. Je cherche à promouvoir le respect de l’humain en rendant la nourriture accessible, tout cela contribue à des rapports économiques plus sains.”

Aller plus loin

Selon Thomas, la Permaculture va bien au delà du jardinage. Ce serait plus une conception du monde qui touche à tous les domaines de la vie. Ces dernières années de nombreux termes et nouvelles tendances sont apparues (agroforesterie, sol vivant etc.) ce qui d’après lui amène plus de flou que de clarté et le grand public se perd.

La Permaculture l’a amené à réfléchir et à remettre en cause tout ce qui nous a été appris : la façon dont on se parle (avec les apports de la Communication Non Violente par exemple), la capacité à créer des liens sans être dans le jugement… Mais il pense aussi aux questions énergétiques avec l’idée de moins consommer, de revoir ses loisirs également à travers ce prisme là… Tendre vers plus de sobriété. Ces questions se posent également pour le monde de l’entreprise avec notamment la façon dont on pourrait remettre de l’horizontalité dans les prises de décision.

Initialement, permaculture signifie “Créer des systèmes durables”. C’est un système de culture intégré et évolutif s’inspirant des écosystèmes naturels. C’est également une démarche éthique et une philosophie qui s’appuient sur trois piliers : “Prendre soin de la Terre, prendre soin des humains et partager équitablement les ressources”.

“En fait pour moi la Permaculture c’est remettre de la conscience dans chacune de nos actions. Parcourir la vie avec une posture d’humilité, une ouverture d’esprit qui nous permette de bousculer nos propres à priori. Je prends l’exemple de la nature : on pense souvent qu’on ne peut comprendre la nature qu’à travers la science. Mais je pense que c’est faux. “La science désenchante”. On peut la comprendre juste en profitant d'elle, en prenant le temps de l’observer, avec tous ses sens.”

Comment vois-tu l’avenir de l’agriculture en France et dans le monde ?

“Y a une partie du Thomas qui trouve que c’est positif, qu’il y aura de plus en plus d’initiatives citoyennes qui vont venir bouleverser le système. Et puis il y a une autre partie de moi qui voit bien que tout va se casser la gueule. L’agriculture d’aujourd’hui ça ne fonctionne pas. C’est un système qui tend à créer des déserts. En appauvrissant les sols, on perd des terres. Du coup on importe plus qu’on exporte, alors qu’on pourrait produire localement. C’est absurde. On entend souvent des agriculteurs dire : “On peut pas nourrir toute la France”. Et ben justement je pense avoir trouvé un début de solution sur ma ferme : on voit à quel point ce mode de culture dans le respect du vivant est beaucoup plus productif à l’hectare comparé à l’agriculture intensive.

Alors peut-être que si les micro-fermes comme celles de Thomas se multipliaient, avec cette capacité à nourrir les communautés locales de manière saine et respectueuse de la nature, on pourrait effectivement nourrir tout un pays…

Thomas évalue chaque année la pousse de ses arbres fruitiers

« Comment, dans un monde finit, peut-on continuer de croire à une croissance infinie. »
— Thomas Deguitre

Thomas pense avoir commencé à poser les jalons d’une vie plus résiliente grâce à laquelle lui et sa famille seront plus en mesure de faire face aux grands bouleversements à venir. D’après lui, à l’avenir, ce sont ceux qui auront mis des efforts pour être plus résilients, en lien avec les autres et chacun dans son domaine de compétence qui survivront. La vie de paysan permaculteur est parfois difficile mais il sait pourquoi il le fait, il sait que nourrir sa famille est devenu un enjeu majeur pour un avenir serein.

Retrouve Thomas sur :

www.leschampsverts.fr

https://www.facebook.com/LesChampsVerts01

D’autres ressources sur le sujet :

La révolution d’un seul brin de paille, Masanobu Fukuoka

Chaîne Youtube Agroécologie etc.


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